Le voici enfin, ce texte admirable, un des plus beaux que le Moyen Age nous ait laissés. Non seulement parce qu’on y voit vivre au naturel, parce qu’on y entend le saint roi, mais parce que le chroniqueur, naïvement, savoureusement, est lui aussi en scène, assurant ainsi la véracité de son témoignage et, sans trop le vouloir, marquant l’écart entre sa foi de bon chevalier et la sainteté de son roi. Jacques Monfrin, qui nous procure cette édition, a raison : « Il n’est pas nécessaire d’être spécialiste de l’histoire et de la littérature du Moyen Age pour lire et apprécier pleinement » ce livre.
On peut entrer dans le texte de Joinville. Par exemple en embarquant à Marseille pour la septième croisade au mois d’août 1248 : « En peu de temps le vent remplit les voiles et nous déroba la vue de la terre, et nous ne vîmes que le ciel et l’eau, et chaque jour le vent nous éloigna des pays où nous étions nés. Et je vous raconte ces faits, parce qu’il est bien follement téméraire celui qui ose s’exposer à un tel péril en état de péché mortel, car on s’endort le soir sans savoir si on se retrouvera le matin au fond de la mer. »
Qui ne voudrait embarquer avec le vieux sénéchal ?
Vie de saint Louis, Joinville, Lettres gothiques (Livre de Poche) 640 p.