Ce coeur changeant Agnès Desarthe, Points Seuil, 240 pages, 6,90 €
Rose n’a que 17 ans, quand elle débarque Gare de Lyon un beau jour de 1909. Pourquoi choisit-elle de se rendre rue du Faubourg Saint Martin ? Le sait-elle vraiment ? Non, c’est le premier hasard qui va donner le la à une vie d’errance, de choix fortuits, de coups de théâtre et de coups de chance. Rose suit son instinct, elle avance dans la vie sans préméditation, sans calcul. Elle trouve un travail le jour même. Drôle de travail, puisqu’elle n’est pas payée. Petite esclave moderne consentante. Nourrie, logée, exploitée ? Oui, surement, mais Rose aime Marthe sa sauveuse, comme elle aimera Emile, puis Louise, elle est leur chose sans pourtant leur appartenir totalement. Car Rose est insaisissable, elle est là sans être là. Rose pense à Zelada, sa chère nounou, la seule personne qui l’est vraiment aimée, touchée, chouchoutée, écran protecteur face à une mère qui ne l’aime pas, qu’il ne faut pas toucher, qu’il ne faut jamais déranger. Elle admire son père, mais celui ci vit dans un autre monde. Rose est seule, alors elle s’accroche aux jupes de qui veut bien d’elle. Elle connait l’opulence, le luxe, la fête, puis la descente aux enfers, la misère, l’abandon. Puis arrive la petit Ida, miraculeux nourrisson à qui elle va pouvoir enfin tout donner. Rose n’a pas eu de maman, elle sera la plus présente des mères, jusqu’à la folie. Emportée par une écriture sensuelle, une prose enveloppante, le lecteur voyage dans ce Paris début de siècle, croisant la Grande Histoire, les classes sociales, les modes. On pense à Baudelaire, on croise Proust, on se souvient de Zola. Un voyage envoûtant, où les sens prennent toute la place, laissant de côté, l’esprit, l’intellectualisme parisien ne retenant que la sensualité de la ville et de l’époque.
Les Symboliques Taureau
Rose parle 5 langues, a lu Spinoza avec son père, a vécu au Danemark, en Afrique et pourtant elle n’est pas ce que l’on appele une jeune fille cultivée, qui met en lumière ses talents, qui sait se vendre dirait-on aujourd’hui. Rose est un petit corps perdu, flottant, qui laisse les flots de la vie le porter au grès du vent et des rencontres. Rose n’avait pas le droit de toucher sa mère. Elle n’a reçu aucun baiser, aucune caresse d’elle, le comble de l’horreur pour un Taureau : voir les signes astrologiques et l'amour. Et pourtant, on imagine Rose née sous le signe du Taureau , tant elle fonctionne avec et uniquement ses sens et son instinct. Elle a tout connu des plaisirs, l’aisance, la richesse, l’opulence, l’amour, le sexe, la gourmandise. Elle a tout perdu, elle a eu faim, froid. Son corps a failli mourir plus d’une fois, sans qu’elle lutte vraiment, mais il est resté bien vivant. C’est une survivante, car elle a ce don physique pour la vie que possède le Taureau, un être dont le corps est doté d’une force puissante. La sensualité est présente à chaque page, une sensualité sans artifice, sans lucre, ni érotisme inutile. La description gourmande d’un gâteau d’anniversaire délibérément détruit par une mère toxique, la découverte de la jouissance donnée par une femme, la description de la pauvreté dans tout ce qu’elle a de physique et de corporel, comment nourrir un nourrisson avec un bouillon quand on a pas de lait, sentir son doigt happé par sa petite bouche dévorante, toutes ces scènes respirent l’esprit Taureau, incarne son rapport au corps sans tabou. Pour toutes ces pages d’une puissance physique et sensuelle totale, le Taureau croque sans hésiter dans ce court roman intense et intime.
L’Extrait tellement Taureau
« Souvent, lorsque l’habilleuse en chef lui confiait un costume, elle en profitait pour respirer l’odeur de la toile mouillée de sueur. Les alliances de parfums était étonnamment variées : sueur mâle sur velours n’avait rien avoir avec sueur femelle sur voile, sans compter que certaines parties desdits costumes pouvaient servir à plusieurs spectacles et changeaient de propriétaires. Un orgue s’était ainsi constitué, au sommet de ses narines, qui lui permettait d’identifier non seulement le sexe de l’artiste, mais aussi son âge et son allure. »
Le Taureau a aimé, le Cancer va aimer aussi.
Parce que le Cancer possède un rapport unique à l’enfance, le destin de Rose va l’émouvoir aux larmes. Comment cette petite fille peut-elle survivre à une mère aussi terrible, comment peut-on supporter de telles privations, comment peut-elle accepter d’être utiliser comme un objet ? Fasciné par la résistance de cette jeune fille, le Cancer suit ses aventures avec l’espoir chevillé au corps, qu’elle va s’en sortir. L’arrivée du bébé Ida dans sa vie, la transforme en une maman tellement Taureau ascendant Cancer. Rien ne pourra plus décourager Rose qui doit coûte que coûte se battre pour sa fille. Avec succès ? Je ne dévoilerais pas la fin car il faut absolument lire Ce Coeur Changeant.