« Vous, l’abbé, on vous enterrera dans une nappe ! » De son vivant, déjà, l’abbé Mugnier avait laissé se constituer autour de lui une sorte de légende dorée mondaine, faite d’indulgence sans borne, d’esprit de répartie et d’opposition facile entre sa soutane ( toujours qualifiée de « verdie » ) de « curé de campagne » et les salons du faubourg Saint-Germain qu’il fréquente.
Ghislain de Diesbach, à qui l’on devait déjà l’édition du Journal, nous offre maintenant une biographie – la première, si l’on excepte un recueil de souvenirs de Marthe Bibesco. G. de Diesbach fait état, dans son récit, d’une foule de documents nouveaux et de nombreuses références aux parties restées inédites du Journal, en sorte que l’on peut considérer que sa biographie ne fait pas double emploi avec ce dernier ; elle est d’ailleurs fort étendue sur la période de l’enfance et de la formation sacerdotale, ou sur des questions d’un aussi grand intérêt que la conversion de Huysmans, par exemple.
Cet apport d’éléments nouveaux ne modifie pas, renforcerait plutôt, les traits à partir desquels s’est bâtie l’image de légende de l’abbé. Ainsi son insatiable curiosité pour les êtres et ce qui les anime – non dénuée, parfois, d’équivoque, lorsqu’il s’agit des progrès de la « dépravation » ; et son corollaire, une immédiate sympathie, au sens le plus fort, avec son temps, et avec ce monde des « lettres » dont il lui semble que l’Église s’est détournée.
Pour le séminariste qui est allé visiter Renan en cachette, et qui a escaladé le mur du cimetière pour aller, à Nohant, prier sur la tombe de George Sand http://georgesandetmoi.hautetfort.com/ ; pour le prêtre qui, désolé, a vu passer, d’une fenêtre, le cortège funèbre de Victor Hugo dans toute sa pompe laïque, ce n’est pas une revanche, mais une réparation que de pouvoir aller administrer le petit-fils du poète, Georges, et de baptiser l’arrière-petit-fils, Jean … C’est peut-être ce sentiment d’avoir à racheter certaines des intransigeances de l’Église de son temps qui excuse certaines naïvetés. Ce beau sentiment d’étendre jusqu’aux limites du possible les bornes de la compréhension est sans doute partagé par le biographe de l’abbé ; c’est pourquoi on est un peu surpris de trouver sous sa plume des jugements qui mériteraient d’être un peu nuancés sur Léon Bloy – pas toujours très défendable, il est vrai – ou sur Jacques Maritain.
Ghislain de DIESBACH, L’abbé Mugnier, le confesseur du Tout-Paris, Perrin, 340 p., 21,50 €